· Nolwen Brosson · Blog · 7 min read
Concevoir et faire croître un bon produit (Partie 1) – De l’idée au Problème : Comment poser les bases d’un produit qui mérite d’être construit
Inspiré de Marty Cagan – INSPIRED, enrichi des frameworks modernes : JTBD, Lean Startup, Opportunity Solution Tree…)
La plupart des équipes démarrent un produit avec beaucoup d’enthousiasme, quelques étincelles d’idées… et aucune garantie que quelque chose prenne réellement.
Pourtant, les meilleurs produits, ceux que les utilisateurs adoptent, et qui créent un avantage durable, ne naissent presque jamais d’une idée brillante isolée. Ils naissent de la compréhension d’un problème réel, vécu par des utilisateurs. Comme le dit Marty Cagan dans Inspired, les bonnes équipes produit ne construisent pas plus, elles comprennent mieux. Dans cet article en deux parties, nous avons tenté de définir un chemin chronologique : de la première intuition jusqu’à l’impact, en passant par la première ligne de code.
1. L’idée n’a aucune valeur : le problème, si
Pourquoi la majorité des produits échouent
Selon CB Insights, 35% des produits échouent parce qu’ils n’adressent pas un vrai besoin (voir schéma “Top reasons startups fail”). Dans ces cas là, ce n’est pas l’exécution qui est mauvaise, mais la décision de construire.
Dans la plupart des organisations, les produits ratent parce qu’on confond deux choses bien distinctes :
- La solution imaginée : ce que l’équipe pense devoir construire (une application, une fonctionnalité, de l’IA, etc.) → C’est une réponse possible, mais ce n’est pas la question.
- Le problème sous-jacent : ce que l’utilisateur essaie réellement de faire dans sa vie ou son travail (obtenir une information rapidement, éviter une erreur, gagner du temps, etc.) → C’est la raison pour laquelle une solution pourrait exister.
Or, un produit n’a de raison d’être que si son problème est :
- réel,
- fréquent,
- coûteux (en temps, argent, frustration),
- non résolu aujourd’hui.
Hypothèses vs connaissances
Marty Cagan insiste : au début d’un produit, tout n’est qu’hypothèse (une affirmation non vérifiée), comme “les utilisateurs veulent partager leurs listes de courses”, alors qu’une connaissance est une vérité validée par des données ou des observations (“80 % de nos utilisateurs échangent déjà leurs listes de courses, mais via des captures d’écran”).
Le rôle du discovery est donc de transformer les hypothèses en connaissances, aussi vite que possible.
Découvrir les vrais “jobs-to-be-done”
“L’idée n’a aucune valeur, seul le problème en a » : Cela soulève une autre difficulté : comment définir correctement un problème utilisateur ? Le framework Jobs-to-be-Done (JTBD) est très utile pour ça, et permet de reformuler le problème du point de vue de l’utilisateur :
Un job est ce que l’utilisateur essaie vraiment d’accomplir, indépendamment de la solution actuelle.
Exemple :
❌ “Mes clients veulent un chatbot.”
✔️ “Mes clients veulent obtenir une réponse immédiate sans contacter un support humain.”
Ce changement de perspective est fondamental. Un job est stable, durable, alors qu’une solution est temporaire.

source: https://www.leanlabs.com/blog/the-jobs-to-be-done-framework-b2b-site-strategy
2. Passer d’un problème flou à une opportunité claire
Une fois le problème identifié, l’objectif est de le comprendre en profondeur.
Outils d’exploration : interviews, shadowing, data, mapping pain points
Interviews utilisateurs
L’objectif n’est pas de demander ce que les utilisateurs veulent (ils ne le savent souvent pas vraiment), mais de comprendre leur contexte, motivations et frustrations.
Questions utiles :
- La dernière fois que vous avez fait X, qu’est-ce qui a été difficile ?
- Qu’avez-vous essayé avant ?
- Qu’est-ce qui vous a surpris ?
Shadowing
Le shadowing consiste à observer les utilisateurs dans leur environnement réel.
On découvre alors des comportements tacites, non exprimés en entretien.
Analyse de données
Les données peuvent complèter :
- taux d’abandon,
- temps consacré,
- fréquence d’usage,
- …
Mapping des pain points
Un pain point est un moment de friction dans le parcours utilisateur. Les cartographier (journey map, service blueprint) aide à visualiser où se concentre la valeur.

source: https://www.woopra.com/blog/customer-journey-map
Et enfin… reformuler en “opportunité produit”
Une opportunité produit est un problème suffisamment critique pour justifier une intervention.
Elle se formule ainsi :
“Les utilisateurs [segment] rencontrent [problème] dans le contexte de [situation], ce qui entraîne [impact].
Aujourd’hui ils compensent en [solutions alternatives], ce qui est [limitations]. Il existe une opportunité de [amélioration mesurable].”
3. Mesurer la valeur potentielle avant de prototyper
Les quatre types de risque
Avant même un prototype, vous devez évaluer le potentiel du problème à résoudre selon quatre dimensions clés (cadre de Marty Cagan). (Attention, protype ≠ MVP, qui lui arrive plus loins dans le process. Des exemples de prototype sont des maquettes Figma, des faux boutons, etc.) :
1. Désirabilité (value risk)
Est-ce que les utilisateurs veulent réellement que ce problème soit résolu ? Est-il urgent ou important ?
2. Utilisabilité (usability risk)
L’utilisateur peut-il facilement utiliser une solution potentielle ? Quelles frictions structurelles ?
⚠️ Particulièrement important lorsqu’on définit une solution au sein de son organisation. Est ce que les équipes concernées par la solution pourront facilement l’adopter ?
3. Faisabilité (feasibility risk)
L’équipe peut-elle réellement le construire ? Quels obstacles techniques, légaux, organisationnels ?
4. Viabilité (viability risk)
Le problème résolu s’intègre-t-il dans le modèle économique de notre business ?
Définir une hypothèse testable plutôt qu’une feature
Maintenant que le problème semble prometteur au regard des 4 dimensions de risque, l’enjeu n’est pas encore de construire une solution, mais de formuler des hypothèses testables qui permettront de vérifier rapidement si ce potentiel existe réellement.
Exemple :
❌ “Ajouter un bouton de partage.”
✔️ “Nous pensons que si les utilisateurs peuvent partager plus facilement leurs listes, ils le feront 2× plus et inviteront de nouveaux membres.”
C’est le product discovery (prochaine section), qui va justement permettre de valider ou invalider les hypothèses.
4. Le cœur du Product Discovery
Le Product Discovery est le processus de réduction du risque avant d’investir dans du développement. Voilà quelques méthodes qui apartiennent au discovery :
Rapid Prototyping
Créer rapidement des artefacts (maquettes, prototypes, Wizard of Oz, faux-boutons) pour apprendre vite.
Exemple: Crée en 2 heures un prototype Figma cliquable simulant un assistant conversationnel simple (3 questions, 3 réponses possibles). 5 utilisateurs testent le prototype en vision et partagent leurs retours.
Dual-track Discovery
Le Dual-track (Cagan) sépare deux flux en parallèle : le Discovery & le Delivery. L’objectif est que le discovery ne bloque jamais le delivery.
Tests continus avec utilisateurs
Chaque hypothèse doit être confrontée au réel :
- tests de concept,
- A/B tests exploratoires,
- …
5. Décider ce qu’on ne fera pas
L’un des meilleurs indicateurs d’une organisation mature : sa capacité à dire non. Sans priorisation stricte, un produit devient une collection d’idées. Dire non protège la cohérence, la vision, le focus et la vitesse.
Priorisation par impact vs effort
Le modèle simple (RICE model):
- Impact (valeur créée)
- Effort (ressources nécessaires)
Une opportunité n’est intéressante que si elle maximise la valeur tout en restant raisonnable en effort.
L’Opportunity Solution Tree comme outil d’arbitrage
Le Opportunity Solution Tree (de Teresa Torres) aide à cartographier l’objectif stratégique, les solutions potentielles et les expériences/tests.
Il permet d’arbitrer objectivement :
- où se trouve la valeur ?
- quelles opportunités sont les plus prometteuses ?
- quelle solution tester en premier ?
Ci-dessous un exemple d’arbre pour Spotify.

source : https://productschool.com/blog/product-fundamentals/opportunity-solution-tree
Conclusion : Le build ne devrait arriver qu’à la fin
Comme vous avez pu le constater, jusqu’ici, nous ne parlons ni de MVP, ni de code. Une solution qui mérite d’être construite a d’abord été comprise**.** Le build est l’aboutissement, pas le début.
En suivant un chemin rigoureux :
- comprendre les problèmes,
- sélectionner les vraies opportunités,
- évaluer la valeur potentielle,
- tester les hypothèses en discovery,
- décider activement de ce qui ne doit pas être fait…
… on réduit drastiquement le risque d’échec.
Comme le résume Marty Cagan :
“La meilleure manière de construire un bon produit est d’éviter d’en construire un mauvais.”
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