· Nolwen Brosson · Blog  · 6 min read

Dette technique : le coût invisible qui peut tuer votre projet digital (et comment la maîtriser)

Vous avez déjà vécu ce scénario : un logiciel livré “dans les temps”, puis très vite des bugs, des lenteurs, des évolutions qui coûtent une fortune, et une équipe qui n’ose plus toucher au code. À ce stade, ce n’est plus un projet digital, c’est une charge mentale… et un risque business.

Le nom de ce problème est simple : la dette technique. Et la bonne nouvelle, c’est qu’on peut la piloter comme on pilote un budget, un planning ou un risque.

Dette technique : définition simple (et utile pour un dirigeant)

La dette technique est l’écart entre ce qui a été construit “pour livrer vite” et ce qui aurait dû être construit “pour être robuste et maintenable”.

Comme une dette financière, elle a :

  • un capital (ce qu’il faudrait corriger),
  • des intérêts (le surcoût quotidien : bugs, lenteur, complexité),
  • et parfois un défaut de paiement (quand tout s’écroule : refonte, arrêt, perte de clients).

Le point clé : la dette technique n’est pas toujours “mal”. Elle devient dangereuse quand elle n’est pas visible, pas mesurée, pas priorisée.

Le vrai coût de la dette technique : ce que vous payez sans le voir

1) Coût direct : maintenance logicielle qui explose

Quand la dette augmente, chaque modification prend plus de temps : effets de bord, régressions, corrections en cascade.

Résultat : vous payez plus cher, et vous livrez moins.

2) Coût d’opportunité : time-to-market ralenti

La dette technique vous vole votre vitesse. Vous repoussez des fonctionnalités, vous perdez des fenêtres commerciales, vous laissez le terrain à un concurrent plus agile.

3) Coût humain : turnover, dépendance, “bus factor”

Une base de code difficile à maintenir crée un cercle vicieux : seuls 1 ou 2 développeurs “comprennent”, les autres évitent d’y toucher.

Le risque devient structurel : si la bonne personne part, votre projet ralentit ou s’arrête.

Les signes qui ne trompent pas

Si vous cochez 2 ou 3 points, vous avez un sujet.

  • Les estimations explosent : “petit changement” = 3 semaines
  • Trop de bugs “bizarres” et difficiles à reproduire
  • Livraison risquée : chaque déploiement en production fait peur
  • Beaucoup de correctifs, peu de nouveautés visibles
  • Les équipes disent souvent : “on préférerait réécrire”
  • Documentation absente, tests rares, code “magique”
  • Dépendances obsolètes, mises à jour impossibles

Pourquoi la dette technique apparaît (même dans les bonnes équipes)

Pression time-to-market sans garde-fous

Livrer vite est normal. Le problème, c’est de livrer vite sans cadre : pas de standards, pas de tests, pas de revue, pas d’architecture.

Mauvais arbitrages au départ

Le choix d’une techno “à la mode” mais mal maîtrisée, une architecture trop complexe, ou un empilement d’outils non justifié.

Produit qui évolue plus vite que la structure

Votre produit change (c’est sain), mais le système ne s’adapte pas : on empile des rustines au lieu de refondre proprement des zones clés.

Absence de gouvernance technique

Si personne n’est responsable de la qualité du socle, la dette devient “le problème de plus tard”… jusqu’au jour où plus rien n’avance.

Comment maîtriser la dette technique : une méthode pragmatique en 6 étapes

1) Rendre la dette visible (sinon elle gagne)

Mettez en place un registre de dette : une liste claire des sujets, avec impact business et impact technique.

Exemples concrets : “paiement fragile”, “tests inexistants”, “module abonnements intouchable”.

2) Mesurer ce qui compte (KPI orientés dirigeant)

Vous n’avez pas besoin de 50 métriques. Prenez celles qui parlent au business :

  • Lead time : temps entre “on décide” et “c’est livré”
  • Taux d’incidents : incidents prod par mois + gravité
  • Taux de régression : bugs réintroduits après fix
  • Part de temps en maintenance vs build (ex. 70/30 = alerte)
  • Fréquence de déploiement (si ça se raréfie, la peur s’installe)

3) Prioriser par risque et ROI (pas par “propreté”)

Toutes les dettes ne se valent pas. Priorisez :

  • ce qui touche le chiffre d’affaires (checkout, acquisition, facturation),
  • ce qui touche la sécurité (auth, permissions, données),
  • ce qui bloque la vitesse (zones où chaque dev devient un cauchemar).

4) Créer un budget de remboursement (réaliste et stable)

La règle simple qui marche : 10 à 25% de la capacité de l’équipe dédiée à la réduction de dette (en continu).

Sans budget, vous ne remboursez jamais. Vous repoussez, vous empilez, puis vous refondez dans l’urgence.

5) Mettre des garde-fous (pour éviter qu’elle revienne)

Ce qui change tout sur la durée :

  • tests automatisés sur les parcours critiques
  • revue de code systématique
  • CI/CD (pipeline de build + tests)
  • standardisation (lint, conventions, architecture)
  • observabilité (logs, monitoring, alerting)
  • documentation minimale : comment run, déployer, diagnostiquer

Ce n’est pas du luxe : c’est ce qui protège votre investissement.

6) Choisir la bonne stratégie : refactor, réécrire, isoler

Trois options, à décider froidement :

  • Refactor : quand le produit est bon et la base récupérable
  • Réécrire : quand le coût de changement est devenu délirant (mais attention aux “refontes totales” sans plan)
  • Isoler : extraire progressivement le legacy derrière une API, remplacer morceau par morceau (souvent le plus sûr)

Le piège classique : “on va faire une refonte” (et on perd 12 mois)

La refonte est parfois nécessaire, mais elle devient un piège quand :

  • elle n’a pas de périmètre clair,
  • elle stoppe la roadmap,
  • elle ne corrige pas la gouvernance (donc la dette revient),
  • elle est motivée par “on n’aime pas le code” plutôt que par des métriques et des risques.

Une approche plus robuste : remplacer progressivement les zones critiques, tout en continuant à livrer.

Checklist dirigeant : les 8 questions à poser à votre équipe ou prestataire

  1. Quels sont nos 3 plus gros risques techniques aujourd’hui ?
  2. Quelle part du temps passe en maintenance vs nouvelles features ?
  3. Peut-on déployer sans stress ? À quelle fréquence ?
  4. Avons-nous des tests sur les parcours qui génèrent du revenu ?
  5. Quelle est la zone du code la plus “intouchable” ? Pourquoi ?
  6. Quelles dépendances sont obsolètes ou bloquantes ?
  7. Quel est le plan de réduction de dette sur 90 jours ?
  8. Qui est responsable de la qualité du socle (et comment c’est suivi) ?

Si les réponses sont floues, c’est souvent le vrai signal d’alerte.

Conclusion : la dette technique se gère, elle ne se subit pas

Un projet digital ne meurt pas d’un bug isolé. Il meurt quand le coût du changement devient si élevé que l’entreprise n’arrive plus à évoluer. La dette technique est précisément ce mécanisme.

La solution n’est pas “coder plus lentement”. La solution, c’est une discipline : rendre visible, mesurer, prioriser, budgéter, prévenir.

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